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pg 167OBSERVATIONS SUR RÉSULTAT DU DÉPOUILLEMENT DES CAHIERSpg 168

pg 169Ce résultat1 peut être envisagé sous un double point de vue: comme rapport des idées d'autrui, et comme tableau des idées adoptées par les auteurs, et proposées en qualité de projet propre à être adopté par l'Assemblée même.

Dans la première qualité il n'y a rien à dire. Le mérite de l'ouvrage, et son utilité, en tient uniquement à la fidélité. Mais pourquoi donc ne pas fournir les preuves uniques et indispensables de cette fidélité? Pourquoi ne pas renvoyer partout aux originaux entre lesquels on prétend qu'il règne cet accord? Pour prononcer l'existence de cet accord à propos de tel ou de tel article, il faut avoir lu cet article ou l'équivalent dans quelques-uns au moins du nombre total de ces mêmes cahiers. Quoi donc de plus simple que de donner en marge les noms des bailliages qui les ont respectivement fournis?

Art. I. Le Gouvernement François est un Gouvernement Monarchique.2

Observations

Cet article est assez clair, et ne souffre point de difficulté.

Art. II. La personne du Roi est inviolable et sacrée.

Observations

Cet article peut avoir besoin de quelque explication, et même de quelques limitations. Dans tous les délits qu'un Roi ne pourroit commettre sans aidans, il ne résulte de la non-responsabilité personnelle de ce Magistrat aucun inconvénient: moyennant les précautions nécessaires il suffit de rendre responsables ces mêmes aidans. Lier les mains à tous co-opérateurs, ce sera lui lier les siennes. Mais il faut les leur lier.

Moyens d'empêcher qu'un Roi ne trouve des complices.

1. Dans tout ordre ou autre acte par écrit nécessité d'une contresignature, à peine de nullité.

pg 1702. Que tout ordre verbal, donné contre les loix, soit nul de droit: par conséquent y obéir sera un délit de même que si jamais il n'avoit été question de tel ordre.

3. Dans les délits qui consistent en voyes de fait ses co-opérateurs seuls porteront la peine. Que le Roi ordonne un assassinat, la peine portera sur l'assassin, le Roi en sera exempt. Que le Roi avec le secours d'un particulier viole une femme: le complice en portera la peine, et la peine entière, quelque indirect qu'ait été le secours prêté.

Restent donc pour tous délits pour lesquels le Roi doit rester responsable, les délits commissibles1 au préjudice des individus par voies de fait par le Roi tout seul sans participation d'autrui. Par exemple, assassinat, viol, injures corporelles portant dommage irréparable.

Objection. De tels cas sont si peu vraisemblables que le danger du délit n'équivaut pas au scandale de la loi.

Réponse. Tandis que le cas n'arrive pas, la loi ne fait point de mal. Que le cas arrive, c'est un très grand avantage que d'avoir une loi toute prête, qui y pourvoye. Le Roi et la nation y trouvent également leur compte: celui-là s'en trouve garanti contre les vengeances cachées: celle-ci contre la vengeance publique.

C'est heurter et la raison et l'expérience que de regarder les souverains comme impassibles et impeccables. La violence légalement impunissable d'un Roi d'Espagne lui coûta sa vie et à la nation une guerre civile.2 Le frère actuellement vivant du Roi d'Angleterre actuellement régnant paya à titre de dommages-intérêts l'amende que chacun sait pour cause d'adultère.3 Ce délit ayant eu pour complice la femme consentante, ne se trouve pas dans le cas où sa responsabilité personnelle, s'il s'étoit agi du Roi même, auroit été nécessaire. Roi ou frère de Roi, la force des passions auroit été la même: et ces mêmes passions exaltées à un certain point, le consentement auroit pu être suppléé par la force. Aussi n'est-ce qu'à la force qu'un Souverain actuellement régnant en Allemagne a dû d'abord la possession de son épouse actuelle.a Charles IX fut pg 171assassin de sa main propre.1 Si Henri III ne le fut pas de même c'est partie parce qu'il n'en avoit pas le courage, partie parce que les loix lui permirent de se servir de la main d'autrui.2 Son successeur ne commit ni assassinats ni viols en titre; mais il mourut au milieu de ses préparatifs de guerre qu'il méditoit pour ravoir la femme du Prince de Conti: c'est-à-dire en se mettant en devoir, pour la chance de commettre un acte de viol, de commettre des actes d'assassinat par milliers. Et qui étoit ce successeur? c'étoit Henri IV!3 Et c'est après cet exemple qu'on voudroit s'obstiner à regarder les Rois comme impassibles et impeccables.

L'on voit bien qu'il ne s'agit pas ici de ces foiblesses dont le mal, s'il y en a, ne porte que sur l'individu même qui y succombe. Ainsi on ne déchira pas le voile pour rechercher ni l'ivrognerie ni les irrégularités où ont donné les Henri III, les Frédéric,4 et tant d'autres souverains. Et il faut que l'exemption s'étende au complice pour ne pas couvrir par la recherche même d'une infamie intolérable le délinquant couronné.

Mais, dira-t-on, quel tribunal pour juger le Roi? Voilà une difficulté mais non pas une objection péremptoire.

Réponse. L'Assemblée Nationale; un Tribunal [constitué] par elle pro re natâ; un tribunal constitué d'avance par une loi générale. Ce n'est point du tout une nouveauté. Ce tribunal existe partout ex necessitate rei.5 Partout un Roi est susceptible de dérangement d'esprit. Nulle part les fonctions du gouvernement ne peuvent être exercées par un Roi tombé en démence. Partout il faut donc qu'il y ait quelque tribunal compétent pour prononcer sur le fait de la démence. L'affaire tombera comme d'elle-même sous la compétence du tribunal le plus puissant et le plus respecté. En Angleterre dans l'exemple d'hier ç'a été le Parlement.6 En France sous l'interrègne des États-pg 172Généraux ç'eût été le corps judiciaire appelé Parlement.1 A l'instant faute de règlement au contraire la décision écherroit comme d'ellemême à l'Assemblée Nationale.

Ce cas de démence est instructif. Le Souverain vient-il de donner dans un excès si peu supposable? On n'a qu'à [le] qualifier de démence: et c'est à ce titre qu'il faut procéder. Voilà les bienséances sauvées, et toutes difficultés aplanies.

Article III. La couronne est héréditaire de mâle en mâle.

Observations

Autre article qui ne souffre aucune difficulté.

Art. IV. Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif.

Observations

Cet article peut passer à titre d'aperçu général. Mais il exige indispensablement et des interprétations et des limitations.

1. Des interprétations.—Car enfin qu'est-ce que le pouvoir exécutif? C'est la question à laquelle personne n'a encore donné une solution satisfaisante. Il s'agit d'une définition que l'on suppose toujours connue pour s'épargner la peine de la trouver. La somme de tous les pouvoirs politiques possibles on la divise en trois branches: mais les lignes qui les séparent personne ne les a jamais tirées même en idée. C'est un travail métaphysique qui est encore à faire.

2. Des limitations.—Y rapportera-t-on le pouvoir de faire la guerre? Le danger en seroit extrême. La réserve faite du pouvoir de la bourse ne suffit guère pour prévenir les guerres injustes et impolitiques. La guerre une fois commencée il faut souvent la soutenir, bon gré mal gré, pour n'être pas écrasé.

Le pouvoir de faire des traités d'alliance, de commerce &c. y appartient-il?

Mais le pouvoir de faire des traités renferme celui d'engager des guerres éventuelles. Le pouvoir de faire des traités de commerce renferme celui d'établir ou d'abroger des loix à l'infini.

Le Roi tout seul fera-t-il par un traité de [paix]2 la cession d'une province? Ce seroit dans l'étendue de cette province anéantir à la fois toutes les loix.

Enfin dans tous les engagemens qui tendent à modifier les loix le pg 173Roi, à moins de pouvoir rendre illusoire la puissance de l'Assemblée Nationale, ne peut être que l'Agent de cette puissance, comme ses Envoyés sont les siens: agent sujet à être désavoué, ou plutôt dont les actes attendent pour être valides la confirmation de la puissance législative.

Art. V. Les agens de l'autorité sont responsables.

[Observations]

Cet article encore ne souffre point de difficulté.

Art. VI. La sanction royale est nécessaire pour la promulgation des loix.

Art. VII. La Nation fait la Loi avec la sanction royale.

[Observations]

Pourquoi Nation au lieu d'Assemblée Nationale? Pourquoi préférer le figuratif au mot propre? Prétend-on à l'Assemblée Nationale substituer les Assemblées Provinciales et Municipales? Encore ce ne sont pas la nation, pas même les dernières.

Art. VIII. Le consentement National est nécessaire à l'Emprunt et à l'Impôt.

Observations

Par les raisons dessus, à la place de consentement National mettez consentement de l'Assemblée Nationale.

Cet article quant à l'impôt, est virtuellement et nécessairement renfermé dans le précédent. Asseoir un impôt, c'est établir des loix.

Quant à l'Emprunt, en faire ce n'est pas établir une loi, mais c'est prendre un engagement, lequel pour peu qu'il s'agisse d'une somme considérable, ne sauroit s'accomplir que par des loix; c'est-à-dire par des loix impositives.1

On pourroit par surcroît de précaution interdire les contributions faites au Roi, même volontaires, soit à titre de Don gratuit2 soit à titre de prêt.

Quant aux puissances étrangères (par exemple l'Autriche ou l'Espagne) on ne sauroit leur défendre d'en contribuer mais on pourroit défendre aux Ministres du Roi d'en rien accepter sauf les bagatelles usuelles de compliment ou d'amitié. Même précaution pg 174contre des troupes étrangères et des contributions en nature telles que munitions de guerre.

Consentement National. Pourquoi ce changement de phrase? comme si dans le cas des loix impositives l'initiative appartenoit au Roi seul, et le seul négatif à l'Assemblée: de façon que les loix de cette espèce devoient se faire au rebours des autres.

Art. IX. L'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'États-Généraux à l'autre.

Observations

Cet article des principes avoués je ne sais pas comment le concilier avec l'article VII des questions indécises.1 L'indécision sur la question de savoir 'si les États-Généraux seront permanens ou périodiques', comment s'accorde-t-elle avec le principe qui décide que 'l'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'États-Généraux à l'autre'?

J'aimerois mieux avoir dit d'une année à l'autre: comme il est dit par exemple en Angleterre. 1. Mieux vaut le certain que l'incertain. 2. Une année c'est l'époque du renouvellement naturel des productions.

3. Cette fixation laisse libre la question sur la durée de la vie de l'Assemblée.

Articles proposés pour en tenir lieu.

1. La partie de l'impôt affectée aux intérêts de la dette nationale doit être établie pour un terme indéfini: moyennant les précautions nécessaires pour empêcher que le produit n'en soit détourné ni appliqué à aucun autre objet.

2. Le reste (hormis [la partie]2 destinée aux dépenses personnelles du Roi et de la Famille Royale) ne pourra être accordé que d'une année à une autre.

Observons qu'il ne s'agit pas d'un travail pénible à renouveler chaque année, mais seulement d'un mot à prononcer.

Art. X. La propriété sera sacrée.

Observations

Y ajoutez au moins contre toutes atteintes du pouvoir arbitraire. Sans cela l'article ne dit rien: et même avec cela, s'il faut l'avouer il ne dit pas grand'chose.

Qu'il n'y ait point de pouvoir arbitraire, la propriété pourroit encore être terriblement malmenée par les loix: comme en effet elle l'est plus ou moins partout. Dira-t-il pour cela qu'il n'y aura point de loix sur le fait de la propriété? Mais la propriété n'existe que par les loix.

pg 175Que dit encore une fois cet article? Rien ou trop. Trop ou rien. Qu'on l'établisse, et après cela demandez au contribuable sa contribution. Oh, que non—Pourquoi non—Parce que la demande est une contravention formelle au Bill des Droits. N'y lit-on pas que la propriété sera sacrée?1 Et comment le sera-t-elle si la mienne ne l'est pas?

Art. XI. La liberté individuelle sera sacrée.

Observations

Mêmes que sur l'article dernier ci-dessus.pg 176

Notes

a Le Duc de Wurtemberg.4

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Editor’s Note
1 The assemblies of the 455 bailliages which selected the Third Estate's representatives to the Estates-General were each required to submit a cahier de doléances. After the Third Estate had proclaimed itself the National Assembly on 17 June 1789, the first Comité de Constitution was appointed on 6 July 1789 and charged with analysing the content of the cahiers. Its report was presented to the Assembly on 27 July 1789: see 'Rapport du Comité de Constitution, Contenant le Résumé des Cahiers relatifs à cet objet', Procès-verbal de l'Assemblée Nationale, vol. ii, no. 33 (27 July 1789). Following an introduction, the report set out, under the heading 'Résultat du dépouillement des cahiers' (pp. 11–12), eleven articles where the cahiers revealed a consensus, and it is these which Bentham reproduces and discusses here. It also set out, under the heading 'Questions sur lesquelles l'universalité des Cahiers ne s'est point expliquée d'une manière uniforme' (pp. 13–15), eighteen articles on which there was disagreement, which Bentham does not address, though he does refer to one of them (see p. 174 below).
Editor’s Note
2 There are some minor inaccuracies in Bentham's rendition of the Articles.
Editor’s Note
1 Bentham has coined this word to mean 'committable'.
Editor’s Note
2 Possibly Peter 'the Cruel' (1334–69), King of Castile from 1350. In late 1366 Peter was expelled by Henry of Trastámara, his illegitimate half-brother. Peter recovered his throne in the following year, but was murdered by Henry in 1369.
Editor’s Note
3 In 1770 George III's younger brother, Henry Frederick, Duke of Cumberland and Strathearn (1745–90), was found guilty of a charge of criminal conversation brought by Richard Grosvenor (1731–1802), first Earl Grosvenor, with whose wife Henrietta, née Vernon (d. 1828), Cumberland had been conducting an affair. Grosvenor was awarded £10,000 in damages.
Editor’s Note
1 The Massacre of St Bartholemew, which began on 24 August 1572, was instigated by Charles IX (1550–74), King of France from 1560, under the influence of his mother Catherine de Médicis (1519–89), Queen of France 1549–59.
Editor’s Note
2 On 23 December 1588, the guards of Henri III, who was notorious for his cowardice, murdered Henri, second duc de Guise (1550–88).
Editor’s Note
3 Henri IV (1553–1610), King of Navarre from 1572, King of France from 1589, became involved in a war against the Habsburgs in the final year of his reign. An alleged motive was the protection afforded by Albert, Archduke of Austria (1559–1621), sovereign prince of the Low Countries from 1596, to Henri II de Bourbon, third prince de Condé (1588–1646), who fled to Brussels in 1609 in order to relieve his newly-married wife, Charlotte-Marguerite de Montmorency (1594–1650), from the attentions of Henri IV, who was infatuated with her.
Editor’s Note
4 Bentham perhaps had in mind the sexual 'irrégularités' associated with both Henri III of France and Frederick II of Prussia.
Editor’s Note
5 i.e. 'from the necessity of the case'.
Editor’s Note
6 On 19 December 1788, during the Regency Crisis, the House of Commons had resolved that it was 'the Right and Duty' of the Lords and Commons 'to provide the Means of supplying the Defect of the Personal Exercise of the Royal Authority' arising from the King's 'Indisposition' (see Commons Journals, xliv. 43). The resolution was also passed by the House of Lords on 29 December 1788.
Editor’s Note
1 Bentham perhaps had in mind the role of the Parlement of Paris, sitting in its fullest form as the Cour des Pairs, during the minority of Louis XV, in selecting Philippe, duc d'Orléans (1674–1723) as Regent in 1715, against the wishes of the late Louis XIV.
Editor’s Note
2 MS 'pays'.
Editor’s Note
1 Bentham has coined this word to mean 'of impost'.
Editor’s Note
2 The don gratuit was the subsidy granted to the Crown by the Assembly of the French clergy in lieu of taxes.
Editor’s Note
1 See 'Questions sur lesquelles l'universalité des Cahiers ne s'est point expliquée d'une manière uniforme', Article VII: 'Les États-Généraux seront-ils permanens ou périodiques?'
Editor’s Note
2 MS 'celle'.
Editor’s Note
1 Property was declared to be 'un droit inviolable et sacré' in Article 17 of the Declaration of the Rights of Man and the Citizen: see p. 374n. below. The clause which stated that property was 'un droit inviolable et sacré' was only proposed on 26 August 1789 in the final debate on the Declaration: see Archives parlementaires de 1787 à 1860, premiere série (1787 à 1799), Paris, 1879–1913, viii. 489.
Editor’s Note
4 Karl Eugen (1728–93), Duke of Württemberg from 1737, had in 1786 married Franziska Theresia von Leutrum (1748–1811), who had eloped from her first husband, Freiherr Friedrich Wilhelm Reinhard von Leutrum (1742–1820), to join him in 1772.
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